" Nous avons à penser le monde des significations sociales non pas comme un double irréel d'un monde réel (...) Nous avons à le penser comme position première, inaugurale, irréductible du social-historique et de l'imaginaire social tels qu'ils se manifestent chaque fois dans une société donnée...
(...) position qui se présentifie et se figure dans et par l'institution, comme institution du monde et de la société elle-même. C'est cette institution des significations – instrumentée toujours dans les institutions du legein et du tekhein – qui pour chaque société, pose ce qui est et ce qui n'est pas, ce qui vaut et ce qui ne vaut pas... C'est elle qui instaure des positions et des orientations communes du faisable et du représentable, et par là tient ensemble, d'avance et par construction si l'on peut dire, la foule indéfinie et essentiellement " ouverte " d'individus, d'actes, d'objets, de fonctions, d'institutions au sens second et courant du terme qu'est chaque fois, concrètement, une société... L'imaginaire radical est comme social-historique et comme psyché/soma. " (Castoriadis 1975)
Paradoxalement, l'imagination radicale ne se rapporte pas à la faculté des images. Elle n'est pas une faculté, elle n'enveloppe rien de visuel, ce qui oblige à rejeter le modèle représentationnel ou scopique lorsqu'il s'agit de radicalité : « L'imagination par excellence est celle du compositeur musical. »
Elle est en définitive l'activité par laquelle tout être vivant se fabrique son monde propre.Elle crée en premier instance les « significations imaginaires sociales », organisant la vie collective, des religions, des institutions, du droit etc. « L'imagination radicale du sujet humain et l'imaginaire social instituant créent, et créent ex nihilo. » C'est ex nihilo que cette imagination confectionne les structures de l'existence humaine : vitales, psychiques et socio-politiques.
En définitive, Castoriadis renverse la tradition philosophique en matière de rationalité/imagination : loin d'être des productions de la raison, les constructions politiques, juridiques et morales sont avant tout des créations de l'imagination (la raison étant elle-même constituée par l'imagination). D'une façon générale, l'imagination radicale, dans les trois sphères qui sont celles de la vie, de la psyché, de la société, invente à chaque fois un « monde propre », un monde pour soi, qui invariablement se caractérise par une certaine clôture.
Ce sont ces principes qui doivent nous aider à penser aujourd'hui le statut de l'objet textué.