Dans la modernité radicale dans laquelle nous sommes projetés, penser est une activité nécessairement à la marge, à la limite, dans les bords...
…marginale, limite, border line, un exercice de l’extrémité, transgressif, sur les frontières / qui peut à l’occasion prendre une forme momentanément critique, de défiance, d’opposition, voire voyoue, sans être pour autant dévoyée au risque de l’inconséquence.
Donc une activité par nature hors institution, hors cadre légal, hors norme.
Qui ne doit en aucun cas se prêter à une forme de récupération quelle qu’elle soit.
Le paradoxe, le problème philosophique par excellence aujourd'hui, c’est d’accorder à cette marginalité, cette défiance, cette extrémité une valeur absolue, un caractère totalement autonome, auto-suffisant, sans aucun compromis possible, indépendant au risque – une fois de plus - de l’inconséquence philosophique, de la disparition immédiate de la raison d’être de cette méletè, cette tekhnè to bioù, ce souçi-de-soi qui nous reste.
D’où l’impossibilité logique d’en faire une activité socialement reconnue (sinon à travers des masques, y compris les plus irreconnaissables – patron du medef par exemple ou bien encore développeur en php, philosophe ou chef d’entreprise).
Impossibilité d’en faire un métier, d’avoir ne serait-ce qu’un bureau chez soi pour marquer un territoire dédié à la fonction, totalement illégitime, de présenter cette activité dans des livres (ou bien sinon des livres d’en genre bien particulier), d’en tirer une représentation finie, amortie, aboutie. Impossibilité même de pouvoir donner un nom à ce travail qui n’en est pas un, de le désigner comme une écriture qu’elle n’est pas, absolument déconstruite, une philosophie qui ne s’incarne pas, une littérature – sans histoire, sans narration, sans intrigue.
Penser est un exercice nomade, qui s’entretient, sur le départ, en partance et toujours déjà parti dans un seul et même mouvement incessant, irrattrapable, insaisissable.
Un exercice dont l’inscription et l’implication noétique s’exercent maintenant - et pour combien de temps? - par le numérique, l’Hypertexte, l’eBook, les newsletters etc.
Invention de formes irreconnaissables par le cadre institué de la pensée établie. Formes mobiles, labiles tout comme leur inscription apparaissante/disparaissante sur l’écran.