On se trompe sur Platon lorsqu’on insiste sans fin sur son rejet de l’écriture afin de mettre en valeur l’oralité et ses remarquables qualités mnémotechniques.
La condamnation de l’écriture dans les dernières pages du Phèdre, la critique dans le Cratyle de la thèse la plus confiante dans le pouvoir des mots (celle qui fait d’eux des images justes des choses) ne sont pas un effet archaïsant de la part du maître de l’académie. Platon ne rejette pas l’écriture. Au contraire ! Il s’agit plutôt pour lui de mettre en rapport ténu la question du phonétique et du graphique: Platon développe sur ce point une remarquable théorie des éléments linguistiques (notamment des lettres de l’alphabet qui notent des sons) afin d’en venir à la structure intime de la langue. Cette orientation est clairement celle prise dans le Théétète quand le philosophe établit un lien très profond entre la technique grammaticale et le problème de la définition. Et toute la question du ruthmos phonétique et musical (qu’a si bien analysée Benveniste dans son article sur La notion de rythme dans son expression linguistique) est clairement associée chez Platon à la thématique de la mesure (métron) et de l’ordre rationnel (taxis) dans le discours.
Le système des lettres-éléments (stoïecheïon) susceptibles d’être phonétisées est un instrument d’analyse que l’académicien ne cesse d’aborder dans quasiment chacun de ses dialogues. Et cet état de fait ne serait pas tel s’il ne reliait pas, dans toutes leurs combinaisons possibles, le vocal et le graphique. C’est précisément ce trait remarquable qu’Husserl a repris derechef en liant très tôt dans ses textes l’usage de l’écriture aux procédures de la pensée ; notamment lorsque l’auteur de Logique formelle et transcendantale interprète la naissance de la géométrie.
Platon met en valeur l’aspect phonétique du discours car, par ce trait remarquable, le langage nous mène à la géométrie.