Ne faudrait-il pas plutôt adopter un point de vue phénoménologique pour avancer dans l'analyse de l'inattendu?
Oui, tout à fait. Les Ideen de Husserl sont indispensables à la compréhension globale de notre sujet. Elles sont un point obligé de l'enquête. Mais les analyses serrées que leur prise en charge nécessite ne peuvent être reprises, tu t'en doutes, dans le cadre restreint de notre discussion. Disons en un mot que dans ce qui advient contre toute attente, il y a une distorsion originaire entre le sens projeté à rebours et le sens finalement retenu de l'événement - au sens large. Pour employer un vocabulaire husserlien, il n'y a pas identité symbolique de contenu entre ce qui paraît dans les protentions et ce qui paraît dans les rétentions de ce qui advient. Or cette distorsion, cet écart temporel n'est pas fait d'instants identiquement immobilisés dans la durée, mais d'une reprise infiniscente des moments qui s'écoulent par le mouvement qui les porte. Et c'est cette "infiniscence" qui produit le présent, qui génère ensuite le temps, et plus spécialement le temps de l'attente...
Comment décrirais-tu ce phénomène eu égard à la perception que nous avons du temps de l'attente ?
Le temps de l'attente ne joue justement aucun rôle dans la perception de "l'événement inattendu" proprement dit. Lorsque celui-ci survient, aucune attente n'est logiquement requise pour une éventuelle "préparation" de ce qui arrive inconditionnellement. Cela dit, il n'y a pas d'expression de l'inattendu sans inscription mutuelle de sa réminiscence première et de ce qui s'en est déjà accompli dans le cours déjà distendu, déjà transformé, déjà métabolisé de son accomplissement; sans un enroulement du sens dans le déroulement de son mouvement qui fait le temps de l'inattendu et le temps de sa perception complète. A noter que cette perception complète peut-être alors à tout instant revisitée: elle peut en dernier ressort évaluer sa résolution première comme invalide et considérer en dernier ressort l'événement comme trivial. L'inattendu, lorsqu'on sait a posteriori de quoi il retourne, prend alors une signification de déjà-vu désormais indélébile. Mais cette révision n'enlèvera jamais au phénomène premier d'avoir atteint la qualité de l'inattendu. En ce sens, il est irrelevable dans sa qualité d'être comme dans son mouvement d'apparition original. On constate ici que même la valeur herméneutique du phénomène, son sens et sa signification dernière - comprendre qu'en définitive on avait tort de s'être fait surprendre par un événement qu'on avait dans un premier temps mal interprété, n'atteignent pas à la qualité de sa vérité inaugurale: l'inattendu même "démystifié" reste inattendu.
A partir de quel moment est-on certain d'être en présence d'un inattendu?
Ce mouvement n'est évidemment pas réfléchi. Il n'est pas encore question de noèse ou de relations noétiques le concernant. Aucune herméneutique ne l'atteint. C'est ce qui rend son approche difficile pour un phénoménologue. Celui-ci regarde en effet souvent les choses sous l'angle de l'intentionnalité. Se précédant et se suivant elle-même dans la veille d'elle-même, la perception résolue de l'inattendue se forme, se constitue dans une Bildung qui est une Ein-bildung, non pas conceptuelle ou réflexive comme le pensait Husserl, mais imaginative au sens de Castoriadis, tout au long d'une schématisation en présence qui la porte tout à la fois dans les protentions et dans les rétentions temporelles de la psyché. Ce moment de résolution varie donc en fonction de l'institution imaginaire de la société et de l'époque...
En quoi l'approche phénoménologique échoue-t-elle finalement dans l'accès aux différents principes que tu énuméres?
Le gros problème avec la phénoménologie, c'est qu'elle considère qu’on ne peut percevoir une chose que si nous avons préalablement anticipé cette chose. Ceci est une conséquence de la définition de la conscience comme intentionnalité. Dès lors, comment pourrions-nous savoir que nous avons à faire à l'inattendu si, par définition, nous ne l'avons pas prévu ? Il y a là un trou noir théorique que ni Husserl, Merleau-Ponty ou Heidegger n'ont su relever.
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Jean-Philippe Pastor