Walter Benjamin fait remonter à la Chute originaire l’arbitraire du signe.
Du divorce qui se crée entre les êtres et le nom qu’on leur donne, découle leur déchéance et la réification des choses qui s’ensuit. Nous sommes dans l’après-coup (méta) de la Chute (ballein). Nous vivons ce faisant dans le monde des images, et tout se passe comme si les prisonniers de la caverne avaient choisi d’y rester. L’univers moderne de la représentation est un univers de signes plutôt que de formes. Mallarmé, aux avant-postes de l’époque que nous vivons, s’aperçoit « qu’il n’est entouré que d’objets dont la fonction est de signifier, qu’il est enfermé dans un prison de signes ». Son rêve de rédemption est purement platonicien.
Aussi, doit-on se souvenir que le langage divin est la substance des choses. « Le paradis des noms avait un dedans sans dehors, rappelle Benjamin, la chute c’est l’extériorité toute entière : la distance infinie qui se crée entre savoir et connaissance ». Nous en sommes à constater l’injustice du monde des signes qui nous entourent à l’égard du monde enfermé dans une tristesse muette.
Toutefois, ce descriptif de notre exil si éloigné du modèle platonicien ne doit pas nous confondre. En réplique à la demande des poètes et des philosophes de la prophétie, il convient de parler d’une athéologie platonicienne face à la nomination originaire des êtres. Platon destitue résolument le langage de tout pouvoir sacré. Il dissocie celui-ci de toute création : le démiurge du Timée ne fait pas les choses en nommant mais en calculant. Et en supposant que le nomothète (celui qui donne les noms aux choses) ait établi les noms primitifs, comment a-t-il pu apprendre et découvrir les choses puisqu’il est impossible de les découvrir sans l’aide des noms qui les désignent ?
Toutes les difficultés que nous rencontrons à vouloir rester fidèle à Platon viennent de deux exigences qui sont pour les modernes profondément contradictoires : pour nous les noms sont des signes, à la rigueur des images ou des symboles mais jamais des essences, des idéalités adéquates conformes à leur référence – et pourtant, en suivant Platon, ces signes possèdent malgré leurs défauts, une forme et par là, correspondent en quelque manière à des Formes idéales auxquelles nous nous rendons.
En dépit de leur malformation principielle que l’Académicien ne cesse de dénoncer (notamment dans le Cratyle), les noms nous lancent à la recherche de l’essence : parce qu’en eux quelque chose de l’essence ou de la stabilité des choses continue de se manifester…
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Jean-Philippe Pastor