Et dans ce cas, en quoi l’involontaire, s'il intervenait, serait-il inattendu ? Peut-on ou doit-on s'attendre à ce que l'involontaire survienne? Quel nouveau type d'événement cette survenue occasionnerait-elle ? De fait, " Il y a de l'involontaire absolu" nous dit Ricoeur dans sa Philosophie de la volonté... Peut-on vouloir que l’involontaire se produise et vienne enfin changer le cours du monde ?
La volonté est la transformation même : rien n’est plus susceptible de se transformer, de se métaboliser que la volonté – y compris en son contraire, l'involontaire, comme Nietzsche nous l’apprend à propos de la Volonté de puissance…
Cependant, vouloir l’involontaire aujourd'hui supposerait encore, dans la plupart des cas, vouloir tendre vers une certaine finalité, un certain telos. Comme si l’involontaire pouvait encore avoir une quelconque valeur salvatrice pour l’espèce, une valeur pseudo-téléologique ou providentielle (seule notre nature profonde pourrait encore pourvoir le monde en de nouvelles possibilités insoupçonnées etc.).
Voilà des questions qui méritent d’être aujourd’hui confrontées à la pensée philosophique classique dans la mesure où le philosophe souhaite depuis toujours vouloir intégrer ce qui arrive – quoi qu’il arrive - dans sa propre sagesse.
Or nous - et quel est ce nous? - nous accommodons mal aujourd’hui de l’éthique philosophique au sens classique - et même des pensées de la différence comme celle de Deleuze qui, par certains aspects, s’y rattache - dans la mesure où nous ne faisons plus nécessairement coïncider l’événement et l’inattendu. Ce qui vient n’est assurément plus orienté vers un certain telos sinon celui qui précisément consiste à se détourner de sa propre essence métabolique en l’accomplissant. La métabole (la transformation) que nous expérimentons de nos jours au niveau planétaire ne peut vouloir l’inattendu à la manière dont les stoïciens veulent par exemple l’événement, c’est-à-dire s’attendent à vouloir ce qui arrive en tant que cela arrive. L’inattendu ne peut pas être visé comme un possible, même en aveugle sans savoir ce que pourrait renfermer son contenu. Pour parler avec le vocabulaire de Deleuze, il ne se situe plus au niveau-surface où les singularités événementielles se font, de manière à créer "des événements transcendantaux" qui décident ensuite de la bonne logique à mettre en place.
Le sage stoïcien attend l’événement pour le faire sien. Il comprend l’événement pur dans sa vérité éternelle, indépendamment de son effectuation spatio-temporelle. Cette posture est l’expression même du désir d’incarnation de l’événement dans la propre chair du sage, sa volonté de corporaliser l’effet incorporel.
Cependant, le véritable point de rupture par rapport à la dialectique stoïcienne qui a connu avec les pensées de la différence de la fin du XXème siècle un certain succès, concerne l’affirmation contemporaine du caractère absolument erratique de la téléologie métabolique (c'est-à-dire des finalités qui font que le monde continue de changer et de se transformer) : nous avons toujours le sens d’un certain type d’événement en effet, mais d’un genre d'événementialité irréductible à tous les autres. Un événement incomparable au concept même d’événement au sens classique. Un événement qui ne fait donc pas événement au sens strict ; au point de ne plus s’inscrire dans la logique temporale d’une historicité à assumer, d’une attitude à adopter face « à ce qui est en cours » et vient du passé pour se projeter dans un avenir supposé à inventer.
Car dans « ce qui arrive » sans que l’on s’y attende (ce que nous désignerions comme le véritable événement intervenant au XXIème siècle), rien n’est précisément en cours dans le cours de ce qui court pour faire événement. De sorte que son incorporation classique pour la tradition n’a vraiment plus de sens dans la visée d’une sagesse supposée pour l’accueillir : nous sommes face à des événements qui n’appartiennent plus à la prise en compte de ce qui arrive pour être incorporés mais qui ne sont pas pour autant « des événements purs » extérieurs qui déchireraient par miracle l’historicité de l’Histoire (pour faire par exemple qu’il n’y ait plus d’Histoire, le cas échéant…). L’inattendu, en tant que je puisse l’incorporer au moment même de sa propre décorporation, engage le changement à l’intérieur comme à l’extérieur de soi. Il engage la transformation, la métamorphose de ce qui arrive dans l’événement – et tout ceci à même l’événement et l’Histoire, selon la simultanéité métabolique d’une continuité des événements comme de par la rupture que sans cesse ces événements occasionnent.
Il s’agit de compter involontairement avec une manière d’événementialité inédite: un type d’événement qui transforme sa qualité d’événement au point de ne plus en être un, au sens courant que nous donnons à ce terme; nous amenant à expérimenter volontairement l’événement que l’on n’attend pas sans pouvoir l'incarner.
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Jean-Philippe Pastor
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