La figuration généralisée du texte dans un livre numérique permet l’hypertextualité de tous les termes qui le compose.
Aussi, le caractère a priori figuratif, tropique du langage se donne-t-il comme la condition de possibilité de l’hypertexte dans un texte numérique (ce que j’appelle le Principe fondamental de l'hypertexte, confirmant le caractère performatif des usages du langage à partir duquel des procédures techniques sont mises en oeuvre dans l'écriture pour son ordonnancement). En conséquence, la rhétorique hypertextuelle devient partie prenante de la structure intime des textes - et plus seulement de leur seule présentation. Elle commande désormais à leur logique, à leur invention (inventio), ne s’en remettant plus simplement à leur seule disposition (dispositio), à leur seule mise en page infographique et technique.
A ce point, nous ne pouvons plus nous accommoder d’une définition traditionnelle de la rhétorique des textes au sens classique. A savoir une définition qui interdirait à l’effet rhétorique un accès à la raison graphique et à son développement. En bref, la conception qui oppose la rhétorique des figures dans l’expression à la logique des concepts dans l’écriture n’est plus tenable. Car cette manière de voir se garde bien de considérer qu’un concept est un concept parce qu’il prétend dépasser la seule teneur rhétorique de sa possibilité : en un mot, la nouvelle rhétorique ne peut plus se contenter d’être un répertoire des figures de style ainsi que des techniques de mise en page qui commande au langage hypertextuel et ses succédanés. Elle doit comprendre sa participation à la logique même de l’écriture sur écran. Elle doit comprendre qu’elle n’est pas seulement une fonction univoque de l’esthétisation du langage. Elle est maintenant partie prenante dans l’élaboration des textes ainsi que des fonctions principales de l’expression.
Aussi, la réflexion sur la rhétorique hypertextuelle a-t-elle le plus grand mal à s’absorber désormais dans la dualité rhétorique/concept, littérature/philosophie, lecture ludique /lecture sérieuse (serious reading) etc. Elle doit déplacer le régime des concepts utilisés pour ne plus laisser croire que les idées naissent ex nihilo de l’Esprit sans aucun support matériel pour les configurer. Comme c’était le cas du temps de la prédominance sans partage de l’écriture-papier… L’écriture, l’alphabet, le texte, le livre sont déjà des machines destinées à produire technologiquement du sens et des significations. Ces partitions entre catégories classiques devraient maintenant s’inscrire dans des transactions dynamiques entre polarités opposées. Polarités qui restent nécessaires, j’en conviens. Car il n’est pas question de faire croire qu’un texte littéraire peut être considéré comme un texte philosophique ou vice-versa. Qu’une recherche à caractère scientifique est en réalité un exercice qui pourrait facilement s’inscrire dans une expérience de type poétique ou sémiotique etc. Il n’y a pas de relativisme possible dans ces matières. Cependant, la position de ces catégories qui restent nécessaires devrait nous aider à nous interroger sur l’expérience de pensée que leurs propres présuppositions prescrivent.
En définitive, tout revient dans ces lignes à nous interroger sur la question du genre dans l’écriture contemporaine.
Dans ces conditions, comment s’explique le fait que la décision et la dénomination du caractère supposé littéraire des textes sur écran (le fameux Fiction Hypertext des auteurs anglo-saxons) soient régulièrement attribuées à des hypertextes dont on ne sait pas encore s’ils forment un genre d’écriture à part entière ? Et d’abord l’hypertexte forme-t-il un genre ? Ne sommes-nous pas ici devant une imposition taxinomique qui modèle son objet en le contraignant à une matrice dans laquelle rien de proprement inédit ne pourrait désormais arriver à l’acte d’écrire ?