Il est habituel de dire qu'Emmanuel Kant n'a pas développé de réflexion critique
approfondie concernant le rapport de la pensée à son expression, à son
écriture... De manière significative, il dénonce le ton, la manière de
se donner des grands airs lorsqu'il s'agit d'écrire philosophiquement:
au final, le mieux pour lui serait de rendre les différences de ton et
de manière d'écrire totalement absentes du texte au regard de
l'idéalité de ce qui est exprimé. Cependant, nous pouvons essayer de
partir des catégories du temps et de l'espace du grand philosophe de
Königsberg afin d'approcher la question de la lecture et de l'acte
d'écrire.
Le temps chez Kant n’est pas un concept, mais une intuition, plus exactement, une forme pure de l’intuition sensible. Le temps n’existe pas indépendamment de nous qui le percevons.
Le temps est une intuition pure, cela veut dire que le temps est le mode immédiat de présentification de l’objet, ainsi que l’espace. Il ne peut pas être une détermination des phénomènes extérieurs, il n’appartient ni à une figure, ni à une position, etc. ;
Toutefois, il semble qu'il existe un privilège du temps par rapport à l’espace : c’est que le temps est la condition formelle a priori de tous les phénomènes en général, alors que l’espace est la condition a priori des phénomènes externes. En tant que forme pure de l’intuition extérieure, l'espace est limité, comme condition a priori, simplement aux phénomènes ne concernant pas notre état intérieur.
Or lire, faire acte de lecture dépend de notre état intérieur rapporté au fait que nous guidons cet état (état ne fournissant pourtant aucune figure particulière) sur l'imposition spatiale d'un support extérieur. Nous cherchons alors à suppléer à ce défaut de figure dans l'intuition a priori que nous avons du temps par des analogies: nous nous représentons la suite du temps par une ligne qui se prolonge sur la page, page dont les diverses parties constituent une série qui n’a qu’une dimension, et nous concluons des propriétés de cette ligne à toutes les propriétés du temps, avec cette seule exception que les parties de la première sont simultanées, tandis que celles du second sont toujours successives etc.
Il
ressort clairement de là que la représentation du temps lorsque nous
lisons est bien une intuition, puisque tous ses rapports peuvent même à
la lecture être exprimés par une intuition extérieure. Mais la figure
utlisée pour la circonstance ne semble avoir aucune sorte de nécessité
formelle: lire ligne après ligne, page après page ne
donne lieu à aucune nécessité en tant que condition formelle dans
l'acte. Nous sommes donc libres d'imaginer d'autres manières de lire,
d'autres façons de configurer la lecture - et donc d'écrire compte tenu des moyens contemporains dont nous disposons.
Rejoignez le Journal de l'Hypertexte en anglais (posts du jour différents de ceux ici présents) -
Connectez-vous sur hypertextual.net l'Hypertexte Principal de la Solution -